• Ces quelques lignes voudraient rendre compte, de façon synthétique, de la conférence autour de la musique chez Paul Claudel donnée par Anne Pellois et Yves Balmer ce mercredi.

    Comme rappelé par Yves Balmer en introduction, la question du rapport du texte et de la musique, du son et du sens a parcouru les siècles. Elle prend une importance considérable au début du vingtième siècle et notamment dans l’œuvre théâtrale de Claudel.

    Si beaucoup de musiciens et d’auteurs s’étaient précédemment interrogés sur la manière de relier les mots et la musique, il s’agit pour Claudel d’une démarche plus profonde que la plupart des approches précédentes. Anne Pellois a souligné que le poète s’engageait dans une forme de retour au théâtre à l’antique. Dans cette fusion des arts, la musique doit devenir, selon Claudel, un élément dramaturgique dans son texte. La présence de musique au sein de la représentation théâtrale ne correspond pas à un élément descriptif ou à la volonté d’illustrer le caractère d’un personnage. Elle n’est pas là pour ponctuer le texte. Elle l’augmente, l’auréole, sans l’étouffer.

    Claudel utilise la musique pour sa fonction émotive, sa capacité à faire survenir l’émotion de façon plus directe que le mot.

    C’est lorsqu’il aborde la mise en scène de ses pièces que la musique lui apparaît comme absolument nécessaire. D’après lui, la déclamation doit être envisagée comme un acte musical, et de manière plus générale, tout le jeu d’acteur doit s’inspirer du mouvement, du rythme propre à la musique.

    Si Claudel sera en contact avec de nombreux musiciens (Honegger, Germaine Tailleferre…), c’est avant tout avec Darius Milhaud qu’il collaborera.

    Yves Balmer a mis en avant l’influence positive que les recherches de Claudel ont eu sur le compositeur. Ce travail en commun entre les deux hommes qui s’accordent une grande confiance sera très riche pour le musicien. Il s’approprie pleinement la réflexion entreprise par le dramaturge sur la déclamation du texte. Pour la musique des Choéphores , le premier travail de Milhaud fut de rythmer le texte. C’est donc sur une nouvelle forme de récitatif que le compositeur va travailler. La parole rythmée deviendra le moyen terme entre la parole et la musique. Le retour à l’Antique se ressent aussi dans l’écriture des chœurs, qui par son expression rythmique très forte donne un aspect incantatoire à ces épisodes.

     La fusion du théâtre et de la musique prend donc un aspect très novateur chez Claudel : c’est pour s’enrichir mutuellement que ces deux formes d’expression doivent fonctionner ensemble.


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  • en savoir plus sur le programme

    Paul Claudel et la musiqueLe présent programme a été rédigé par cinq élèves de la section Arts de l'Ecole Normale Supérieure de Lyon : Pauline Bouchet, Nina Hugot, Ludovic Henne, Sacha Todorov et Pierre-Damien Traverso. Rassemblant une série de courtes notices librement écrites, il voudrait accompagner l'auditeur dans les méandres d'une histoire — celle du lied et de la mélodie — qui sera abordée à travers quelques jalons marquants, liés par de secrètes affinités.
    A commencer par un rapport privilégié à la poésie. Pour parler d'amour, les compositeurs en présence vont en effet puiser dans la poésie renaissante (Ronsard, chez Roussel), baroque (Tristan l'Hermite chez Debussy), romantique (Heine chez Schumann) ou moderne (Louise de Vilmorin chez Poulenc), comme si la mise en musique du sentiment ne pouvait faire l'économie d'une langue d'orfèvre, condensant la passion en quelques figures et vers essentiels.
    Aussi raffinées soient-elles, les œuvres de ce récital n'oublient pour autant jamais la simplicité des mélodies populaires ou des rythmes ancestraux : cet héritage-là constitue d'ailleurs l'un des autres dénominateurs communs aux pièces de ce récital. Marches militaires chez Mahler, réminiscences de flamenco chez Ravel ou lignes épurées d'une ancienne berceuse chez Brahms viennent patiner un art qu'on aurait tort de ne croire qu'élististe. C'est que le lied comme la mélodie aiment se divertir, cultiver l'ironie (Schumann, Mahler) et se griser de jeux de mots (Poulenc)...
    Reste qu'au-delà de ces tentations ludiques, lied et mélodie se retrouvent surtout sur un autre invariant, noble et douloureux celui-là : l'enquête que le je y mène sur lui-même. Dans ces pièces, le monde est l'envers du moi comme le moi l'envers du monde, au gré d'un balancement pendulaire qu'un troisième terme vient parfois perturber : l'être aimé (Schumann) ou un être ayant partie liée au sacré (le Christ dans la berceuse de Brahms, Saint-Michel et Saint-Georges chez Ravel). Parcourir les grottes, les sentiers, les bois ou les eaux dormantes, c'est ici se parcourir soi-même.

    Mais si le lied et la mélodie donnent à entendre une voix qui explore les cavités de l'âme, ne s'offrent-ils pas en même temps à l'auditeur comme une invitation à cheminer en lui-même ? En écoutant Der Lindenbaum ("Le Tilleul") de Schubert sur un gramophone, Hans Castorp, le héros de la Montagne magique de Thomas Mann, ne faisait pas autre chose que se déchiffrer lui-même... Et si nous suivions son exemple ?

    Florent Siaud
    (coordination, relecture et correction)
    allocataire moniteur en section Arts
    Ecole Normale Supérieure de Lyon




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    Debussy s'empare du drame de Maeterlinck très vite après sa création. Il commence à travailler sur celui-ci alors qu'il vient juste de composer le Prélude à l'après-midi d'un faune.

    Dans Pelléas et Mélisande, de nombreuses caractéristiques de l'harmonie classique sont abandonnées. Les cadences sont très peu nombreuses, on n'en compte qu'une quinzaine dans tout l'opéra (on trouve bien sûr des cadences propres à Debussy, mais qui ne font pas référence à des tonalités).

    L'harmonie est travaillé autour de quelques grands axes, avec par exemple :

    • un axe modal, qu'on voit apparaître dès les premières mesures, avec le thème de la forêt (4 premières mesures), puis celui de Mélisande au hautbois (à la mesure 14).

    • la gamme par ton, qui apparaît également au tout début (à la mesure 5) dans l'harmonie qui habille le thème de Golaud.

    • Des accords à résonance naturelles (avec septième et neuvième, et souvent même la neuvième sans la tierce, ce qui donne une caractère assez dure).

    • Des suites d'accords parallèles.



    L'héritage de Wagner :


    Dans cet opéra, on peut associer certains thèmes à des situations et des personnages, mais contrairement aux Leitmotiv de la Tétralogie de Wagner, ces motifs ne sont présents que dans les parties instrumentales. Debussy emprunte également à Wagner l'idée d'un opéra continu, sans numéros et sans divisions. Il écrira cependant quelques interludes supplémentaires pour faciliter les changements de décors. Au sein de ceux-ci, les thèmes vont intervenir de façon à faire basculer le drame, anticipant l'action par la musique.

    Debussy a toujours été très discret sur son travail, et en particulier sur Pelléas, tout les éléments qui nous sont parvenus proviennent du travail des musicologues, aussi l'association des éléments thématiques aux personnages ou à des éléments de situation ou d'état psychologique est-elle en partie ouverte ; les commentateurs se rejoignent cependant largement sur le rôle de la plupart des éléments thématiques.

    Le thème de Golaud par exemple (mesure 5), au rythme caractéristique que l'on retrouve dans plusieurs passages évocateurs (ainsi lorsque Golaud surprend Pelléas jouant avec les cheveux de Mélisande). Golaud, le chasseur, est également symbolisé par le timbre du cor.

    Le thème initial (les 4 premières mesures), inscrit dans le mode de ré, représente la forêt ou l'évocation d'un monde lointain (dans l'espace et dans le temps).

    Debussy va également joué sur le caractère symbolique des échelles musicales, par exemple en opposant Mélisande (dont le thème s'inscrit dans une échelle potentiellement pentatonique (lab, sib, réb) et Golaud, (échelle par ton au caractère assez angoissant que l'on entend par exemple dans la scène des souterrains).

    Il va également introduire une parenté entre les thèmes de Mélisande et de Pelléas (n°40 à la flûte dans la partition), tout deux basé sur un intervalle de quarte juste, très mélodique tout les deux contrairement au thème de Golaud.



    La Symbolique des timbres :


    La symbolique des timbres est évidemment très présente, avec le cor qui représente Golaud, le hautbois et le cor anglais pour Mélisande, et la flûte essentiellement pour Pelléas.

    Les trombones (qui depuis leur intervention dans le troisième acte de l'Orféo de Monteverdi, sont utilisé symboliquement pour illustrer l'apparition du surnaturel) apparaissent à des moments clés du drame. Lorsque Golaud intime l'ordre à Mélisande d'aller chercher l'anneau qu'elle a égaré, moment où Mélisande commence à mentir effrontément ; ou encore au moment de la mort de Pelléas.

     

     


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  • Quelques suggestions de lecture en résonnance aux cours publics donnés par MM. Sabatier et Ducreux autour de Pelléas et Mélisande de Debussy.

    Cette bibliographie est proposée par Emmanuel Ducreux, professeur d'analyse de la musique du XXème siècle au CNSMD de Lyon.

    BOUCOURECHLIEV André. Debussy – la révolution subtile. Paris : Fayard, Les chemins de la musique, 1998

    BOULEZ Pierre. Relevés d’apprenti. Paris : Éditions du Seuil, collection “Tel Quel”, 1966

    DEBUSSY Claude. Correspondance. Paris : Gallimard, 2005

    DEBUSSY Claude. Esquisses de Pelléas et Mélisande (1893 – 1895). Genève : Éditions Minkoff, 1977

    DEBUSSY Claude. Monsieur Croche et autres écrits. Paris : Gallimard, 1971

    DEBUSSY Claude. Pelléas et Mélisande. Paris : Éditions Durand & Cie, 1904

    JANKELEVITCH Vladimir. Debussy et le mystère de l’instant. Paris : Plon, 1976

    JAROCINSKI Stefan. Debussy, impressionnisme et symbolisme. Traduit du polonais par Thérèse Douchy. Paris : Éditions du Seuil, 1970

    LESURE François. Claude Debussy. Paris : Klicksieck, 1994

    LOCKSPEISER Edward, HALBREICH Harry. Claude Debussy. Paris : Fayard, 1980

    MAETERLINCK Maurice. Théâtre. Genève : Slatkine Reprints, 1979

    NICHOLS Roger, LANGHAM SMITH Richard. Claude Debussy – Pelléas et Mélisande. Cambridge : Cambridge University Press, 1989


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